Minimalisme, le bonheur est dans la simplicité

Dérèglement climatique, dérives du capitalisme tardif, inégalités sociales et économiques… Face à l’état du monde et de nos sociétés, nombreux sont les consommateurs à la recherche d’un mode de vie alternatif plus sain pour eux et pour la planète: les marchés du bio, de l’éthique et du durable, en plein essor, représentent plus qu’un simple phénomène de mode. En ligne comme en ville, les boutiques spécialisées se multiplient pour répondre à cette nouvelle demande, affichant fièrement leurs valeurs au travers de labels ou de slogans en tout genre. Les grandes enseignes, surfant sur les nouvelles préoccupations des consommateurs, s’adaptent elles aussi en proposant plus de produits zéro déchets, ainsi que des rayons entiers dédiés aux achats en vrac ou issues de l’agriculture biologique et/ou éthique. Côté agro-alimentaire, le marché du bio a franchi en 2020 le cap symbolique de 13 milliards d’euro, et près de 12% des agriculteurs français sont désormais labellisés bio[1]. Dans l’industrie de la mode, le label GOTS[2], le coton bio, ou l’utilisation de tissu recyclé devient un vrai argument de vente autant pour les jeunes créateurs que pour les grandes marques de prêt à porter, comme H&M avec sa ligne “conscious” ou encore Mango qui affirme que “79 % de nos vêtements possèdent déjà des propriétés durables. En 2022, nous atteindrons 100 %.”[3].

Quelles que soient les motivations des entreprises, ces changements reflètent une vraie demande de la part des consommateurs. Pour certains, il s’agit de changer petit à petit sa façon de consommer en achetant ponctuellement des produits jugés plus éthiques — mais pour d’autres, il s’agit de mener une vie radicalement engagée.

Qu’est-ce que le minimalisme ?

Parmi les différents modes de vie alternatifs se trouve le minimalisme, quelque part entre esthétique visuelle épurée à la manière d’Apple, développement durable et style de vie urbain.

Le minimalisme prône (comme son nom l’indique) une consommation se limitant autant que possible au strict nécessaire. Il s’agit de sortir d’une logique de consommation de masse pour se focaliser sur ce qui est essentiel, de trouver le bonheur ailleurs que dans la recherche effrénée des possessions matérielles. Netflix, Youtube, et autres blogs proposent une pléthore de contenus qui s’inspirent du minimalisme. Peut-être avez-vous déjà vu la vidéo de Broute[4], qui parodie certaines idées des adeptes du minimalisme — garde robe monochrome, sobriété calculée du design, quantité limitée de possessions matérielles, appartement quasi-vide. Sans aller jusque dans ces extrêmes, on peut noter la volonté claire non seulement de consommer moins, mais aussi de consommer mieux : le minimalisme encourage à privilégier l’achat d’un objet certes plus cher au départ, mais qui durera plus longtemps car de meilleure qualité. Et c’est encore mieux s’il provient d’une source durable et/ou éthique ! Outre les avantages économiques et écologiques, le minimalisme est à la croisée du développement personnel et de l’attrait esthétique pour les designs épurés et intemporels. Même si la japonaise Marie Kondo ne se réclame pas du tout du minimalisme[5], le succès fou que rencontre sa méthode de rangement “KonMarie” (déclinée dans des livres best sellers et des émissions télés) a des rapports non négligeables avec le mouvement. En plus de proposer des systèmes de rangement pratiques et esthétiques, sa méthode de tri pour éliminer tout ce dont on a pas besoin est caractéristique d’une pensée imprégnée du shintoïsme. Il faut d’abord rester une minute en silence dans la maison pour la remercier ; puis le critère de sélection pour les objets est :  est-ce que cela procure une “étincelle de joie”? Si oui, on conserve l’objet, si non, on remercie l’objet pour ses services puis on s’en débarrasse. Les gestes quotidiens – comme plier son linge – deviennent des exercices de méditation relaxante.

Le minimalisme est une démarche intégrale, qui entend améliorer la qualité de vie : par exemple, le style vestimentaire (littéralement unique) de Steve Jobs a été une source d’inspiration pour les minimalistes, car comme il l’a dit dans une interview : “Chaque jour, je me lève, et dans ma  penderie je trouve le même t shirt, le même pantalon, et les mêmes chaussures. Élégants, oui, mais toujours les mêmes. Je fais cela pour que je n’aie pas besoin d’y penser.”[6]. Avoir moins de choix permet un gain de temps et d’énergie, pour se consacrer davantage à son travail ou à ses loisirs. D’ailleurs, ce n’est pas une coïncidence que beaucoup d’adeptes connus du minimalisme proviennent du monde des start-up et de la technologie, industries connues pour être extrêmement compétitives où seuls les plus passionnés et entreprenants peuvent réussir. 

En somme, le minimalisme propose un mode de vie où chaque décision, chaque achat  revêt plus d’importance, donnant ainsi du sens à la vie quotidienne. On pourrait presque qualifier le minimalisme de spiritualité ou de religion adaptée au monde occidental urbanisé et moderne, avec son iconographie, ses codes vestimentaires, ses “gourous”, ses objets incontournables. Le minimalisme promet de trouver, par ses règles de vie, le bonheur et le contentement qui seraient le but de la vie.

Des limites au minimalisme 

S’il est vrai que le minimalisme présente des avantages pratiques et peut être le reflet d’un vrai engagement éthique, il n’en est pas moins une autre forme de matérialisme. On possède certes moins de choses, mais comme on a soigneusement choisi ce qu’on possède, on y tient souvent plus : on peut comprendre que lorsqu’on a passé des heures pour acheter LE sac à dos qui correspond parfaitement à nos besoins, à notre style de vie et à nos critères, on est déçu quand il s’abîme, qu’il n’est pas réparable ou remplaçable. Si le contentement est l’un des objectifs visés par le minimalisme, il peut en réalité se traduire par la recherche persistante de l’objet parfait qui répondra exactement à nos désirs , ou le besoin de limiter strictement le nombre de ses possessions matérielles. C’est-à-dire tout le contraire du contentement !

Le minimalisme est en outre une philosophie de vie qui est réservée à une certaine élite : tout le monde ne peut pas se permettre de vivre une vie radicalement minimaliste, et ce pour des raisons très diverses : vie familiale, moyens financiers, etc. Rare sont ceux qui peuvent se vanter d’être de “vrais” minimalistes, limitant par choix l’ensemble de leurs possessions à une petite valise — ce n’est d’ailleurs pas une grande surprise que les grands noms du minimalisme présents dans le documentaire “Minimalism, a documentary about the important things” (2015) soient d’une condition sociale plutôt privilégiée[7]

La Bible promeut-elle le minimalisme ?

Dans beaucoup de mouvements religieux, dont le christianisme, on trouve des formes de vœux de pauvreté, choix volontaire de vivre avec très peu. Un blog mentionne d’ailleurs Jésus et Gandhi parmi d’autres grandes figures historiques comme les premiers pionniers du minimalisme[8] (d’ailleurs ce site met en avant le minimalisme comme un moyen d’être un meilleur homme).

Si on a en effet à l’esprit l’image d’un Jésus “sans domicile fixe”, parcourant la Galilée et vivant au jour le jour avec ses disciples, ou encore l’image de l’apôtre Paul vivant en permanence dans le dénuement, on trouve dans le texte biblique d’étonnantes subtilités. Loin de dénoncer les possessions matérielles en elles-mêmes, ou de dénigrer le monde matériel au profit d’un monde purement spirituel qui serait plus élevé, on trouve dans la Bible, un enseignement réaliste sur le contentement dans un monde matériel qui est bon, créé et gouverné par Dieu.

Un grand sage juif écrit ceci dans l’Ancien Testament : “J’ai reconnu qu’il n’y a de bonheur pour eux qu’à se réjouir et à se donner du bien-être pendant leur vie; mais que, si un homme mange et boit et jouit du bien-être au milieu de tout son travail, c’est là un don de Dieu.” (Ecc 3.12-13) Marie Kondo propose de remercier ces objets et sa maison pour leurs services et leurs providence, mais la Bible nous suggère plutôt de remercier Celui qui est à l’origine de ces bonnes choses ! 

C’est cette reconnaissance des dons de Dieu qui permettra à l’apôtre Paul, emprisonné, de dire : “[…] j’ai appris à être content de l’état où je me trouve. Je sais vivre dans l’humiliation, et je sais vivre dans l’abondance. En tout et partout j’ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et à être dans la disette. Je puis tout par celui qui me fortifie.” (Ph 4.11-13)

Enfin, Jésus lui-même était connu par les responsables religieux de son époque comme un homme qui n’hésitait pas à faire la fête, autant chez la crème de la crème religieuse que chez les personnes peu recommandables. Dans un enseignement sur l’hypocrisie religieuse et les biens matériels, il dira : “Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.” (Matthieu 6.19-21)

La Bible n’est pas contre le fait de chercher à consommer de façon plus intentionnelle, que ce soit pour être financièrement stable, pour agir pour un monde plus juste ou pour sa santé. Bien au contraire ! Une des clés du contentement selon le message biblique, c’est de savoir être heureux quelle que soit notre condition, en reconnaissant que toutes les bonnes choses viennent de Dieu. “Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur…” La question la plus importante, sur laquelle Jésus nous invite à méditer, c’est de savoir où se trouve véritablement notre trésor, puisque c’est également là que nous mettons notre cœur.

 

Joanna Schlake, octobre 2021

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Notes

[1]     https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2021/07/AGENCE-BIO-JUILLET2021-V08-interactif.pdf

[2]     https://www.wedressfair.fr/labels/gots

[3]     https://shop.mango.com/fr/femme/edits/durabilite

[4]     https://www.dailymotion.com/video/x7wg5ma

[5]     https://konmari.com/konmari-is-not-minimalism/

[6]     https://www.inc.com/steve-jobs-had-a-dress-code.html

[7]     https://www.imdb.com/title/tt3810760/

[8]     https://www.artofmanliness.com/articles/minimalism-begets-manliness/

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