Une nouvelle morale

Pendant quelques décennies, l’Europe a traité la morale comme un souvenir du passé. On a voulu vivre dans une société qui ignorerait le bien et le mal. Cela se traduisait entre autre par le slogan « il est interdit d’interdire », hérité de Mai 68. En particulier, on refusait que le corps social pèse sur la conduite de l’individu par un regard sur les bons ou mauvais comportements. Les questions morales devenaient alors des affaires purement subjectives et individuelles.

Mais la morale au sens collectif fait aujourd’hui son grand retour. Face au racisme sous toutes ses formes, face aux irresponsables du climat, face aux abuseurs et autres « porcs », face à tous ceux qui sont accusés de propager la haine, on retrouve une morale fortement présente et exprimée. Celui qui se met en porte-à-faux avec cette morale risque d’être vilipendé dans les médias et surtout les réseaux sociaux, voire d’être ostracisé, boycotté et privé de parole. Et il y a dans cette morale et son application un côté dur et intransigeant, qui laisse peu de place au pardon et à la réhabilitation. Dans son cortège suivent aussi diverses déviances qui parasitent facilement toute moralité : lynchages collectifs, indulgences (pensons aux compensations carbone), hypocrites et personnes qui se parent de vertu pour se sentir supérieures aux autres.

Comme chrétien, je soulignerais qu’il ne faut pas être étonné de cette résurgence de la morale. L’humanité est faite pour vivre dans un monde moral, où le bien et le mal sont une réalité. Le récit chrétien voit l’être humain rejeter l’autorité de Dieu pour choisir lui-même ce qui est bien et mal. Cela a privé sa boussole morale d’un point de repère fixe et univoque, mais n’a pas supprimé la recherche d’un bien et d’un mal qui orientent sa conduite. Penser vivre sans morale est donc une illusion, et reléguer la morale dans le seul domaine subjectif et individuel ne correspond pas à la réalité du monde.

J’observe par contre que la foi chrétienne dispose de plusieurs ressources dont notre époque pourrait s’inspirer pour une bonne gestion des réalités morales. La conviction que tout homme est condamnable au regard de Dieu interdit en principe tout sentiment de supériorité, tout jugement prenant de haut le fauteur de trouble. Savoir que le Dieu qui voit tout est le juge ultime, fait trembler les hypocrites, tout en relativisant les condamnations injustes que l’on pourrait subir. Surtout, la mort de Jésus-Christ sur une croix porte un double message : le mal est réellement mal, au point de nécessiter la mort du Fils de Dieu. Mais un pardon complet est possible, parce que la sanction méritée par les fautes de chacun a déjà été portée. Ainsi, l’injonction morale garde toute sa vigueur, le mal n’est en rien relativisé. Par contre, celui qui reconnaît sa faute et s’en détourne peut s’en aller, libre de condamnation, libre de vivre mieux désormais. 

C’est à mon sens la meilleure réponse au défi de combattre le mal sans écraser le coupable. Mais que chacun relève ce défi avec les ressources qui sont les siennes, en cherchant avec bienveillance envers tous, un monde meilleur.

 

Jean-René Moret, Dr en études théologiques, pasteur à l’Église Évangélique de Cologny

Article paru dans la Tribune de Genève, le 7 décembre 2021

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