S’échapper de l’algorithme

Cela fait quelque temps que j’observe avec fascination — et une certaine inquiétude — la polarisation de la société américaine. Il semble que dans quasiment tout les domaines, deux camps s’affrontent : gauche et droite, pro-vie et pro-choix, anti-vax et pro-vax… Ce phénomène s’exacerbe avec les réseaux sociaux, véhicule privilégié des fake news et autres désinformations. Le film documentaire “Derrière nos écran de fumées” montre clairement comment les algorithmes des réseaux sociaux, destinés à captiver notre attention, nous nourrissent de contenus taillés sur-mesure à nos préférences, jouant sur nos émotions, nous enfermant dans un point de vue, toujours en présentant “l’autre” comme un ennemi, et non une personne à part entière, avec un vécu et un point de vue qui mérite notre écoute et notre empathie. Comme si le problème n’était pas déjà difficile à gérer, l’algorithme est exploité à des fins peu glorieuses par des “trolls farms”. Selon le MIT Technology Review, 19 sur 20 des pages Facebook “chrétiennes” américaines les plus populaires sont en réalité gérées par des personnes des pays d’Europe de l’Est. Entre deux posts au fond patriotique, verset biblique sur fond d’image kitsch des Rocheuses, se glisse des théories du complots. Récemment, l’assaut des lieux de pouvoir brésiliens organisé par des pro-Bolsonaro a de nouveau montré comment les réseaux sociaux ont largement contribué non seulement à la polarisation en politique, mais aussi à l’organisation de manifestations de grande ampleur. Dans un autre contexte, le peuple Philippin a récemment élu son nouveau président : le fils du dictateur Ferdinand Marcos qui a imposé la loi martiale pendant 14 ans dans les années 70. Là aussi, les réseaux sociaux ont été vecteurs de propagande — sans compter la corruption —, et une bonne partie de la population croit fermement que Marcos Jr., une fois élu, rendra au peuple le trésor qui aurait rendu riche la dynastie Marcos, ainsi que l’argent volé au peuple sous le gouvernement de son père. De ce côté de l’écran, ce serait trop facile de se dire que quand même, ces gens sont bien naïfs (pour ne pas dire stupides). Mais ce serait orgueilleux d’avoir la certitude que nous sommes plus clairvoyants et plus malins, que les autres. Le même algorithme me nourrit sur mes réseaux sociaux de sujets qui me plaisent. C’est tout de même incroyable que les autres n’aient pas l’intelligence, comme moi, de se rendre compte que la fast fashion est l’un des plus gros responsables de la crise écologique et de l’injustice sociale dans le monde! Paradoxalement, c’est ce même algorithme qui voit mon intérêt pour la mode, et tente de me vendre des vêtements dont je n’ai pas besoin. Dans tous les cas, l’algorithme flatte mon égo en renforçant l’idée que je suis plus responsable, plus clairvoyante, moralement supérieure, bref meilleure que les personnes que je croise dans la rue avec leurs sacs remplis de vêtements Primark, H&M ou Zara. (Remplacez l’exemple de la fast fashion par n’importe quel autre sujet qui vous passionne, et vous verrez, le principe fonctionne.)

Pour reprendre le comédien Aziz Ansari dans un de ces spectacles de stand up, “ils sont juste piégés dans un algorithme différent du tien !”

On veut bien faire preuve d’empathie, de bienveillance et de bonne volonté… tant que ça nous arrange. Aujourd’hui, la question de la diversité1 et de la tolérance est sur le devant de la scène. Les séries sont pleines d’anti-héros nuancés à la moralité ambiguë. Pourtant dans la vraie vie, on a très vite tendance à classer les gens selon des catégories binaires. Entre gentils et méchants, woke et ultra-conservateurs, bourgeois et anarchistes. La complexité du monde est plus supportable quand on peut ranger les gens dans des catégories toutes faites.

Alors, comment s’échapper de la Matrice (pardon, de l’algorithme) ? Il me semble que dans toute cette discussion, se cache la question de la source de notre connaissance et de notre sagesse pratique. Naturellement, on a tendance à vouloir fréquenter ceux qui nous ressemblent. D’un point de vue pratico pratique, l’ouverture d’esprit, l’écoute, apprendre à recouper les sources d’information, c’est un bon moyen pour ne pas rester coincé dans notre algorithme. Mais soyons honnêtes. La recherche de la vérité (ou du moins, d’une source d’information fiable), c’est fatigant.

À l’époque de Jésus, la question se posait déjà : quel parti suivre ? Celui qui prône une adhésion stricte à la Loi de Moïse, celui qui ne croit pas en la résurrection des morts, ou peut-être suivre ceux qui veulent se battre contre l’occupation romaine ? Ou peut-être ce rabbin, Jésus, qui dit être “le chemin, la vérité et la vie” ? 

“Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous un fardeau, et je vous donnerai du repos. Acceptez mes exigences et laissez vous instruire par moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. En effet, mes exigences sont bonnes et mon fardeau léger.” (Mt 11.28-29)

À contre-courant de ses contemporains et de notre culture actuelle, Jésus propose un chemin étroit mais véritablement libérateur, à la fois reposant et exigeant. La vie de Jésus porte un message étonnant : elle est pleine de compassion mais réaliste face aux difficultés de la vie, pleine de pardon mais n’hésitant pas à dénoncer le mal. Le message de Jésus est polarisant, c’est vrai. Une vie à la suite Jésus (et j’en parle par expérience personnelle), donne un repos existentiel ; il invite à naviguer dans l’ambiguïté du monde en ayant pour boussole la confiance en Dieu, celui qui a créé le monde et son “mode d’emploi”. Suis-je sortie de l’algorithme ? Probablement pas tout à fait. Mais au moins, ma vision du monde n’est pas façonnée par des algorithmes, mais par Celui qui a tout créé.

 1 notamment la représentation LGBTQIA+ et des personnes racisées

Joanna Schlake, 2023

Références :

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