“Projet bébé” : plan utopiste ou plan égoïste ?

“Projet bébé” : plan utopiste ou plan égoïste ?

M’approchant dangereusement de la trentaine, j’ai de plus en plus d’amis qui ont des enfants ou qui ont un “projet bébé”. Si j’ai la chance de ne pas ressentir de pression particulière de la part de mon entourage, je dois dire qu’avoir une horloge biologique qui tourne et 4 ans de mariage derrière moi me pousse forcément à réfléchir à la possibilité (ou non!) de m’investir dans le réarmement démographique.

Cet article s’inspire des réflexions et des discussions que j’ai pu avoir avec mes amis, avec ceux qui ont fait le choix d’avoir un enfant, ceux qui n’en veulent pas, ceux qui ont changé d’avis et ceux qui galèrent et souffrent de leur situation d’infertilité. Bref, je n’ai pas la prétention de donner une réponse universelle, mais seulement quelques bribes de réflexion pour et contre le fait d’avoir des enfants aujourd’hui, à l’appui d’une perspective biblique.

Ce que j’entends souvent autour de moi

“Qui voudrait élever une enfant aujourd’hui vu l’état du monde ?”

“Je n’ai pas besoin d’enfant pour être heureux et une personne accomplie.”

Tâchons de répondre à chacun de ces points de vue avec un éclairage biblique.

“Qui voudrait élever une enfant aujourd’hui vu l’état du monde ?”

Le monde actuel ne donne vraiment pas envie d’élever un enfant. Réchauffement climatique, crises géopolitiques et économiques à tout va, sociétés de plus en plus polarisées et individualistes… Bref, comme le dit Paul aux Éphésiens “les jours sont mauvais” (Eph 4.16). C’est pourquoi il dit aux chrétiens de son époque de “rachetez le temps” (Eph 4.16).

Une copine m’avait dit qu’elle ne voulait pas d’enfant, car elle ne veut pas infliger à un autre être humain une éducation imparfaite qui risque de créer des traumatismes et des problèmes qu’il faudra déconstruire en tant qu’adulte. Une autre m’a confiée que perdre la liberté qu’on a en tant que couple sans enfant n’en vaut pas vraiment le coût. Brefs, autant de variantes finalement assez lucides sur les inconvénients de la parentalité !

Dans l’histoire du monde chrétien occidental, les périodes de crises ont été les catalyseurs de courants de pensées “chrétiennes” souvent ascétiques où le mariage, la sexualité et la procréation étaient dénigrées. Il valait mieux être célibataires et chastes, comme les anges, et ce afin d’annoncer de façon claire que la fin est proche. Refuser de faire un enfant, dans leur optique, c’était un acte prophétique, c’était déclarer que le monde ici-bas ne valait pas grand chose au regard de ce qui nous attend au paradis.

Il me semble que le point commun entre ces deux perspectives est un regard profondément négatif et pessimiste du monde actuel et la volonté de se libérer de contraintes au profit d’un objectif plus haut (épanouissement personnel d’un côté, élévation spirituelle de l’autre). Dans les deux cas, ne pas faire d’enfant concrètement montre qu’on ne pense pas qu’il y a un avenir pour ce monde-ci.

La perspective biblique réussit à maintenir une tension entre une vision pessimiste et optimiste pour l’avenir. D’un côté, le monde actuel se meurt ; d’un autre côté, le monde actuel sera un jour complètement renouvelé. La perspective sur la fin des temps de la Bible, est que le Royaume de Dieu qui sera pleinement visible au futur à déjà fait irruption dans le présent avec l’arrivée de Jésus et au moyen de la foi ; la destinée éternelle de l’univers aura une continuité avec le monde présent. Les chrétiens croient donc sincèrement qu’il y a un avenir merveilleux pour ce monde : concevoir un enfant est un acte d’espoir et de confiance en Dieu qui affirme que même si le monde est effectivement pourri, cela vaut en vaut le coût/coup.

“Je n’ai pas besoin d’enfant pour être heureux et une personne accomplie.”

Je ne peux qu’être d’accord avec cette phrase. S’il fallait obligatoirement être parent pour avoir un sens à notre vie, ce serait un peu déprimant. Bien sûr, ce n’est pas pour dénigrer ceux qui ont toujours rêvé d’être parent ou qui souffrent car leur désir d’enfant tarde trop à se réaliser. C’est complètement normal que la parentalité occupe une grande partie de la vie, de ses préoccupations, et fasse partie de son identité.

Ce n’est pas pour rien que la transition de vie quand les enfants partent de chez les parents est parfois plus difficile à vivre pour les parents que pour les enfants ! Quand on investit tellement dans la vie de ses enfants, on peut se sentir déboussolé quand ils prennent leur indépendance. C’est un phénomène tellement courant que les anglophones ont une expression pour désigner les parents dont les enfants sont partis de la maison : ce sont des “empty nesters” (des gens au nids vides).

Mais l’existence même d’une expression aussi précise trahit le fait que la parentalité est devenue pour certains une question identitaire existentielle, finalement une idole, la chose fondamentale qui donne du sens à leur vie. Et évidemment, quand ton idole ne remplit pas toutes tes aspirations (car ton enfant n’a plus besoin de toi, qu’il te rejette etc), c’est toute ta vie qui s’écroule. Qui es-tu si tu n’es plus “Papa” ou “Maman” ?

Pour éviter ce vide et résister aux pressions sociales, on peut choisir de trouver un sens à sa vie sans enfant, de profiter à fond de la liberté que cela permet : voyages, loisirs, sorties spontanées avec ses amis, travail avec des horaires inhabituels… Mais le problème de l’idolâtrie reste présent. C’est sûr que sans enfants, on risque moins d’idolâtrer la parentalité. Mais comme le cœur est une véritable usine à idoles, on a vite fait de trouver un remplaçant ! Voyages, loisirs, amitiés, travail et même la liberté et l’épanouissement personnel en eux-mêmes.

La Bible livre un constat sans appel : notre cœur est tortueux (Jérémie 17.9), seul Dieu peut le connaître et en connaître les aspirations profondes – normal, puisque c’est le Créateur ! Notre tendance à vouloir mettre quelque chose au centre de nos vies a été voulue par Dieu. Mais le problème c’est qu’à cause de notre rébellion, on n’a pas envie de mettre Dieu au centre de nos vies et on tente par tous les moyens de mettre quelqu’un ou quelque chose d’autre à la place : nous-même, notre amoureux, nos enfants (ou l’idéal de la parentalité), le concept de l’amour, la liberté, l’argent, le pouvoir, le perfectionnisme, le contrôle…

C’est vrai qu’on n’a pas besoin d’enfants pour être une personne heureuse et accomplie ; par contre la Bible affirme qu’on a besoin de placer notre confiance et notre identité en Jésus, celui qui est “le chemin, la vérité et la vie” (Jean 14.6).

Conclusion

On a vite fait de trouver des raisons très légitimes pour conserver sa précieuse liberté et son confort personnel : les enfants, ça coûte cher, les bébés, ça empêche de dormir, j’ai peur de ne pas être à la hauteur ou de reproduire les erreurs de mes parents… Toutes ces raisons sont vraies, dans la mesure où cela reflète la réalité d’être parent. Moi-même, je me fais ces réflexions quand je vois mes amis jeunes parents avec des cernes gigantesques, quand j’entends mes voisins crier sur leur adolescent qui leur crie dessus en réponse.

Mais personnellement, quand j’examine profondément mes motivations, je me rends compte que j’ai plus envie d’écouter mon égoïsme, ma peur, mon désir de contrôle et mon perfectionnisme plutôt que de placer ma confiance et mon identité en Jésus. Être parent, c’est sûr que ça va être difficile. D’ailleurs, devenir parent c’est déjà pas une évidence quand on voit les problèmes d’infertilité croissants, les statistiques sur les fausses-couches des femmes, la mortalité infantile en légère croissance même en France, sans compter le parcours extrêmement éprouvant et long que représente la PMA.

Ce qui me fait probablement le plus stresser, c’est que la parentalité va me pousser dans mes retranchements et me montrer tous les problèmes que j’ai encore besoin de régler chez moi.

Mais comme je veux être cohérente avec ma foi, mes réflexions m’ont conduit à considérer ces derniers points :

Avoir des enfants, c’est un cadeau de Dieu : ce n’est pas un dû (cf les statistiques précédemment évoquées), ni vraiment un devoir (cf bonus en fin d’article), mais un don.

Être parent, ça fait partie de mon éducation et de mon développement personnel pour plus ressembler à Jésus : je vais faire des erreurs mais je vais apprendre, je vais être confrontée à mes limites et à mes défauts mais j’aurais beaucoup d’occasions de travailler dessus, et je vais vivre le message de l’Évangile au quotidien par le pardon (que je donne et que je demande aux enfants !)

Être parent, c’est un exercice de foi : il n’y a pas plus concret comme expérience de vie pour apprendre à lâcher prise, renoncer au perfectionnisme et mettre toute sa confiance en Dieu dans tous les domaines de la vie de son enfant !

Être parent permet de mieux comprendre et de façon particulière par l’expérience l’amour que Dieu le Père a pour nous.

Mon propos dans cet article n’est pas de vous convaincre absolument qu’il faut avoir des enfants. D’ailleurs, dans le petit bonus de fin d’article, je vais tenter d’argumenter en quoi je ne pense pas que la Bible soutient que les couples ont le devoir de procréer, ou que les enfants soient le but ultime du mariage. Mon propos est simplement de nous inviter à considérer honnêtement nos motivations et notre regard sur la parentalité, car ce sujet anodin est en réalité bien plus profond qu’il n’y paraît !

Joanna Schlake


Petit bonus : la Bible ordonne-t-elle aux couples d’avoir des enfants ?

Réponse courte : non

Commençons au commencement, dans le livre de la Genèse. Après avoir créé l’homme et la femme, Dieu les bénit comme le reste des créatures et il leur dit : “Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.” (Gn 1.28). Cela n’est-il pas un ordre direct de procréer ? Alors oui… mais non ! Car dans le contexte, on peut argumenter que c’est un récit de création, Dieu ordonne à toutes ces créatures de remplir la Terre qui est pour l’instant plutôt vide ; avec plus de 8 milliards d’habitants sur Terre, on pourrait considérer qu’on a plutôt bien accompli ce mandat.

D’autre part, à la lumière du Nouveau Testament, cet ordre se trouve “actualisé” par un nouveau mandat : Jésus dit à ces disciples en Mt 28.19-20 “Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.”

Dans la perspective néotestamentaire, Jésus est le nouveau Adam, ses disciples sont de sa famille spirituelle et sont appelés à faire d’autres disciples, autrement dit des enfants spirituels. Pour aller plus loin, on a argumenté ailleurs sur ce site que la famille selon Jésus, c’est la famille de Dieu – c’est-à-dire l’Église –, ce qui relativise énormément l’importance de la famille biologique.

Si on regarde maintenant la scène de l’institution du mariage (LE modèle de relation de couple dans la Bible), on voit qu’il n’est pas question de procréation, mais d’union entre le mari et la femme : “C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.” (Gn 2.24). C’est ce même texte que Jésus reprend quand il se retrouve à débattre du divorce dans Matthieu 19.

Dans une société où avoir une descendance était impérative pour l’honneur familial et préserver la transmission de la lignée (avec des conséquences matérielles et sociales non négligeables), on peut s’étonner que Jésus n’a pas recours à l’argument des enfants (du type “il ne faut pas divorcer, pensons aux conséquences psychiques et/ou légales sur les enfants !”), il met plutôt en avant l’unité que représente le couple.

L’autre grand texte de référence sur le mariage se trouve dans la lettre aux Éphésiens au chapitre 5 ; sans entrer en détail sur les difficultés du texte, soulignons simplement que ce texte (comme les textes parallèles) mettent au cœur du mariage la relation du mari et de la femme comme reflet de la relation entre Christ et son Église. Ici, la procréation n’est même pas mentionnée ! (On peut tout de même nuancer en précisant que la section suivante du texte traité de la relation enfant/parent, ce qui semble impliquer qu’il est “normal” qu’une maisonnée inclut des enfants)

Au regard de ces données bibliques et en prenant en compte le contexte culturel de l’époque, il semble que la pression d’avoir des enfants et le problème que pose l’infertilité est plutôt sociétal. L’infertilité est un dysfonctionnement du corps qui pointe vers la réalité que le monde actuel est corrompu par le mal ; ce n’est pas une punition divine ou un motif d’exclusion social légitime.

Avoir des enfants, c’est plutôt une bénédiction et un don que Dieu fait au couple qui permet d’étendre la relation d’amour qui unit le couple de base à une famille biologique plus large. C’est aussi un signe qu’on est créé à l’image d’un Dieu Créateur, relationnel, qui est Amour : on a en quelque sorte la capacité de créer un nouvel être humain à travers une relation (à priori par un acte physique exprimant l’amour) et que l’on peut ensuite aimer et avec qui l’on va construire une relation.

Le récit de la Création puis de la Chute (entrée du péché, du mal et de la mort dans le monde) dans Genèse 1-3 explique que les douleurs de l’accouchement, les difficultés à procréer, les relations tendues entre parents et enfants n’existent que dans un monde déchu. Si la condition avant la Chute est le modèle pour l’institution du mariage, on peut supposer que la procréation fait partie du “package” de la vie conjugale.

Mais vivre dans un monde déchu implique certaines concessions : il n’est plus aussi évident de donner la vie (impossibilité médicale, raisons financières…). Il serait donc exagéré de dire que quand la Bible commande obligatoirement aux couples mariés d’avoir des enfants – ce n’est pas le but ultime du mariage ; cependant il semble que dans l’idéal biblique, les couples mariés devraient partir du principe que leur union (dans tout les sens du terme !) et la construction d’un foyer commun impliquent si Dieu le permet, des enfants.

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