Justice et Pardon #2

Que faire de quelqu’un qui a commis une faute ? La question ressort très régulièrement quand un homme politique ou bien une vedette est accusé d’un méfait plus ou moins choquant. Doit-on supporter sans rien dire la présence d’un réalisateur, un présentateur vedette accusé de viol ? Doit-on réintégrer un homme politique, qui a eu des comportements au minimum déplacés envers les femmes ?

Le châtiment est une bonne nouvelle

Dans l’article précédent, nous avons souligné l’importance de faire justice dans la Bible. Israël, en tant que peuple de Dieu, est responsable de châtier et chasser le Mal en son sein sinon il risque d’être maudit. Et il y a plusieurs exemples dans l’Ancien Testament (première partie de la Bible) où Dieu fait éclater sa colère contre un peuple qui ne fait pas sa volonté de combattre le Mal. Quoi ? Colère, malédiction, courroux ? Comment est-il possible qu’un Dieu d’amour se transforme en juge inflexible et même en fléau dévastateur ?

Pour répondre à cette question, lisons le témoignage de Miroslav Volf, un théologien protestant croate :

« J’avais l’habitude de penser que la colère était indigne de Dieu. Dieu n’est-il pas l’amour ? L’amour divin ne devrait-il pas être au-delà de la colère ? Dieu est amour, et Dieu aime chaque personne et chaque créature. C’est exactement pour cela que Dieu est courroucé contre certaines d’entre elles. Ma dernière résistance à l’idée de la colère de Dieu a été une victime de la guerre en ex-Yougoslavie, la région dont je suis originaire. Selon certaines estimations, 200 000 personnes ont été tuées et plus de 3 000 000 ont été déplacées. Mes villages et mes villes ont été détruits, mon peuple a été bombardé jour après jour, certains ont été brutalisés au-delà de l’imagination, et je ne pouvais pas imaginer que Dieu ne soit pas en colère. Ou pensez au Rwanda, dans la dernière décennie du siècle dernier, où 800 000 personnes ont été massacrées en cent jours ! Comment Dieu a-t-il réagi à ce carnage ? En prenant en charge les auteurs de ces crimes de façon grand-parentale ? En refusant de condamner le bain de sang, mais en affirmant au contraire la bonté fondamentale de ses auteurs ? Dieu n’était-il pas farouchement en colère contre eux ? Bien que j’aie eu l’habitude de me plaindre de l’indécence de l’idée de la colère de Dieu, j’en suis venu à penser que je devrais me rebeller contre un Dieu qui n’était pas courroucé à la vue du mal du monde. Dieu n’est pas courroucé en dépit du fait qu’il est amour. Dieu est courroucé parce qu’il est amour. »1

La démonstration est imparable, d’autant plus qu’en cas de massacre on accuse justement Dieu de ne pas agir. Il faudrait donc savoir : doit-il intervenir et châtier les meurtriers ou être un gentil grand-père compréhensif qui ne fait rien ? Généralement, on préfère la première option… jusqu’à ce qu’on se pose la question « qui mérite d’être châtié, finalement »? Le meurtrier, assurément (parce que je n’en suis pas un) ! Celui qui insulte, dit du mal de son voisin ? Non, ce serait trop sévère (parce que cette fois-ci je suis concerné) !

Dieu délègue

Jésus a justement parlé de ce problème pour remettre à leur place les religieux de son temps qui se croyaient justes à leurs propres yeux :

«  Vous avez appris qu’il a été dit à nos ancêtres : « Tu ne commettras pas de meurtre. Si quelqu’un a commis un meurtre, il en répondra devant le tribunal. » Eh bien, moi, je vous dis : Celui qui se met en colère contre son frère sera traduit en justice. Celui qui lui dit « imbécile » passera devant le tribunal, et celui qui le traite de fou est bon pour le feu de l’enfer. »2

Même si les effets ne sont pas les mêmes entre le meurtre et l’insulte, c’est la même racine et le même Péché au yeux de Dieu. Il serait donc normal que sa justice passe sur le meurtrier comme sur le colérique. Sauf que sa justice directe, il la réserve pour un temps futur, la fin des temps, quand Jésus reviendra juger les vivants et les morts. Pour notre temps, la justice divine est déléguée aux humains, ses représentants sur terre : 

« Que tout homme se soumette aux autorités supérieures, car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été mises en place par Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité lutte contre une disposition établie par Dieu, et ceux qui sont engagés dans une telle lutte recevront le châtiment qu’ils se seront attiré. Car ce sont les malfaiteurs, et non ceux qui pratiquent le bien, qui ont à redouter les magistrats. Veux-tu ne pas avoir peur de l’autorité ? Fais le bien, et l’autorité t’approuvera. Car l’autorité est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, redoute-la. Car ce n’est pas pour rien qu’elle peut punir de mort. Elle est, en effet, au service de Dieu pour manifester sa colère et punir celui qui fait le mal. C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre à l’autorité, non seulement par peur de la punition, mais surtout par motif de conscience. C’est pour les mêmes raisons que vous devez payer vos impôts. Car ceux qui les perçoivent sont eux aussi au service de Dieu, dans l’exercice de leurs fonctions. »3

Citation paradoxale quand on sait que Paul parle des autorités romaines… qui persécutaient les chrétiens ! Mais la logique est là : c’est le rôle des autorités humaines de combattre et punir le Mal comme il se doit, même si elles n’ont pas conscience de le faire au nom de Dieu. 

Maudits de toute façon

Et pour revenir à notre question de départ, on peut constater que quand une société laisse le Mal impuni, c’est comme si elle se maudissait elle-même puisqu’elle provoque la désolation en son sein ! La question est donc à nouveau de savoir s’il vaut mieux une « malédiction passive » de Dieu qui laisse cette société pourrir sans intervenir ou une « malédiction active » quand il châtie directement parce qu’elle ne fait pas sa volonté. Chose intéressante,  plusieurs auteurs bibliques décrivent la malédiction active comme un signe d’amour de la part de Dieu puisque c’est la preuve qu’il éduque ses créatures et qu’il a toujours comme projet de créer une société harmonieuse où l’on aime son prochain comme soi-même. La malédiction passive, c’est au contraire quand il n’y a plus d’espoir et que les hommes sont laissés seuls, avec leur bonne volonté et leurs moyens très limités. Peut-être un jour se rendront-ils compte qu’ils n’arrivent pas à s’en sortir par eux-mêmes et qu’ils ont besoin de l’aide de Dieu ? 

Alors, vous préféreriez quoi ? Que Dieu intervienne vraiment, quitte à être expéditif, mais que les choses changent ou bien que Dieu nous laisse échouer, seuls, dans notre lutte contre le Mal ? 

La prochaine fois, nous décrypterons un épisode biblique très choquant pendant lequel Dieu fait mourir des personnes que nous qualifierions aujourd’hui « d’innocentes ».  

Notes :

1Traduit de Miroslav Volf, Free of Charge: Giving and Forgiving in a Culture Stripped of Grace pp. 138-139

2Matthieu 5.21-22

3Lettre de Paul aux Romains 13.1-6

Yohann Tourne, 2023

La série d’article Justice et Pardon : #1

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