Justice et pardon #3

Justice collective

La question des violences sexuelles est mise régulièrement sur le devant de la scène par les journalistes qui recueillent le témoignage de victimes ordinaires ou bien grâce à la parole de personnes plus médiatiques. C’est une très bonne chose car le silence a trop longtemps primé. Vivement qu’on parle autant des victimes de maltraitance… avant que celles-ci ne meurent sous les coups de leur bourreau ! Rappelons les chiffres : un français sur 10 dit avoir subi des maltraitances physiques ou psychologiques pendant son enfance (95% des cas par un membre de la famille) ; chaque année plus de 140 000 enfants seraient maltraités et plus de 60.000 seraient abusés sexuellement ; 213000 femmes subissent chaque années des violences physiques ou sexuelles de la part de leur (ex)conjoint. Cela veut dire que nous connaissons tous sans le savoir des femmes et des enfants qui sont battus ou sexuellement abusés. 

Sans le savoir ? Pas sûr. « Tout le monde savait ! », une phrase qui revient souvent dans les articles après qu’une célébrité a été accusée de prédation sexuelle. Des témoins relatent des histoires qu’on raconte, une réputation. Pas de preuve mais en cherchant un peu on pouvait en trouver… la preuve, beaucoup de victimes ont fini par parler ! Le problème, c’est qu’il n’y a pas grand monde qui a envie de découvrir la vérité : le prédateur est puissant, soutenu par des gens puissants et personne ne veut avoir de problèmes en se mêlant d’une affaire qui n’est pas la sienne. 

Sauf que la liste des victimes s’allonge à mesure que personne ne dénonce le prédateur, ou bien, dans le cas de maltraitances familiales, la probabilité du coup fatal augmente si on laisse le bourreau se défouler en toute impunité. Combien de traumatismes, de morts évités si l’entourage était plus « curieux » devant certains indices ? Est-on toujours une famille, une société quand on ne prend plus soin les uns des autres, détournant le regard pour ne pas être dérangé par ceux qui font le mal ? 

C’est la question traitée dans un des passages les plus dérangeants de toute la Bible. Il se trouve dans le livre de  Josué au chapitre 7 et il est trop long pour être retranscrit mais on peut en faire un bref résumé :

  1. Nous sommes dans le contexte de la conquête de la Terre Promise par les hébreux.
  2. Inexplicablement, Israël se met à perdre une bataille alors que Dieu lui donne le pays.
  3. On découvre que c’est parce qu’il y a une désobéissance au sein du peuple qui met Dieu en colère.
  4. On consulte l’Éternel et au bout d’un certain temps Akân est désigné comme coupable d’avoir gardé le butin d’une précédente victoire alors que Dieu avait exigé que tout soit détruit.
  5. Après aveux, Akân et toute sa maisonnée sont lapidés.
  6. Le cycle des victoires reprend car Dieu est satisfait.

Cet épisode est choquant à plus d’un titre pour un œil occidental du XXIème siècle : 1) Une lapidation 2) plutôt expéditive, 3) pas seulement du coupable mais aussi de toute sa famille 4) pour une faute qui n’a pas l’air si grave que ça. Pourtant, pour ne pas se montrer coupable de racisme (« notre civilisation est supérieures à celle des hébreux ») ou de snobisme chronologique (« notre époque est tellement plus évoluée que la leur »), il faut comme toujours contextualiser. 

Une faute pas si grave ?

Dans la Bible, le plus grand danger pour les hébreux (et pour tout humain), c’est l’idolâtrie, car c’est une aliénation spirituelle consistant à adorer des objets issus de l’imagination humaine au lieu de se tourner vers le seul vrai Dieu qui est spirituel, incomparable et donc qu’on ne peut représenter. Les pratiques idolâtres étaient aussi accompagnées de prostitution et de sacrifices humains. Mettre un doigt dans l’engrenage idolâtre c’est donc courir le risque d’entraîner tout un peuple en dehors de sa vocation de « lumière des nations » c’est-à-dire de société nouvelle destinée à montrer au monde entier que le respect de la loi de Moïse permet de construire la société la plus juste possible.

En gardant un butin du « monde d’avant », idolâtre, Akan remet en cause cette nouvelle société qui doit être construite sur la terre promise… et encourage ses voisins à faire pareil. Il met tout le projet en péril, c’est pourquoi Dieu stoppe nette la progression vers la terre promise jusqu’au règlement du problème. Et il faut noter que Dieu ne va pas foudroyer Akan mais veut que le peuple fasse lui-même justice. Cela confirme une expression que Dieu emploie 9 fois dans le Deutéronome : « vous ferez disparaître le Mal du milieu de vous ».

Condamnation excessive ?

Un tirage au sort est effectué pour que Dieu dise « oui ou non ».C’est long : Tribu par tribu, clan par clan, famille par famille. Akan a le temps, au fur et à mesure que la vérité se rapproche, d’avouer sa faute. Akan… et sa famille qui est à coup sûr au courant. Pourtant, ni Akan ni un de ses proches ne parlera. Il faut garder le secret et regarder ailleurs même si cela porte préjudice à tout le peuple. C’est la raison pour laquelle la sentence est sans pitié pour tous ceux qui auraient pu éviter le Mal mais ne l’ont pas fait. Ne pas dénoncer le Mal c’est y contribuer.

Vous pensez peut-être que le dénouement de cette histoire est beaucoup trop extrême, digne du radicalisme le plus barbare. Mais, revenons au sujet des violences physiques et sexuelles et à cette question fondamentale : une société peut-elle tolérer les prédations en son sein sans réagir ? Car les sanctions qu’on n’inflige pas aux témoins pour leur inaction on les fait peser sur les victimes qui continuent de souffrir de l’injustice. Être neutre et mesuré, c’est déjà les vouer à une mort certaine. Ne pas lapider les bourreaux revient à lapider les victimes. 

C’est pour cela qu’il faut un peu réfléchir avant de condamner certaines mesures radicales de la Bible (comme celle de bcp de civilisations anciennes) : elles montrent les valeurs vraiment fondamentales d’une société et surtout jusqu’où l’on est prêt à aller pour préserver ces valeurs. À l’époque biblique c’est la lutte contre le Mal et la réparation des victimes (dont Dieu) qui est au centre, aujourd’hui c’est la liberté individuelle et la peur de l’erreur judiciaire. Les valeurs de notre société semblent vraiment plus civilisées que celles des temps anciens, plus répressives, expéditives. Mais elles semblent aussi plus laxistes car pendant qu’on veut préserver la présomption d’innocence, les prédateurs et autres bourreaux sont toujours libres… et la liste des victimes s’allonge.

#Balance ton injustice !

Je ne sais pas ce que vous pensez des mouvements comme « Me too », « balance ton porc » ou de toutes ces femmes plus ou moins connues qui ont témoigné des viols qu’elles ont subis. Vous pouvez penser que c’est un peu excessif mais je pense que c’est surtout l’expression de l’exaspération des victimes qui n’ont pas été assez entendues et surtout qui voient que la justice est incapable de condamner le pervers qui les a agressées ! Leur seule arme est donc la lapidation médiatique. 

On constate donc ce fait intéressant : des féministes du XXIème siècle sont finalement dans la lignée de la loi de Moïse et… la lapidation d’Akan !

Ces féministes dénoncent une « culture du viol », c’est à dire une société qui ne veut pas voir les violences perpétrées et même qui les protège au nom de l’état de droit et la présomption d’innocence. 

Bien entendu, tout le monde est pour un état de droit où l’on ne peut pas se faire justice soi-même, où il faut faire une enquête qui aboutit à un procès équitable. Mais il y a un problème quand l’enquête est trop longue et qu’elle n’aboutit à rien ! Il y a un problème quand la présomption d’innocence permet à un pervers de faire des victimes supplémentaires ou d’avoir assez de temps pour tuer sa compagne ! En justice française, le doute profite toujours à l’accusé et c’est probablement une bonne chose pour éviter les erreurs judiciaires mais cela ne fonctionne pas pour les violences physiques et sexuelles qui sont si difficiles à prouver. Le système judiciaire est impuissant, il ne reste donc que la société. Mais comme la famille d’Akan, chacun choisit de regarder ailleurs : « j’ai jamais rien remarqué », « ce ne sont pas mes affaires », « qu’est-ce qu’on aurait pu faire ? ». 

Il serait donc temps de remettre en cause notre individualisme pathologique et remettre au goût du jour la responsabilité collective.

Un Esprit Saint dans un corps sain

13 siècles après l’histoire d’Akan, l’apôtre Paul va prendre une métaphore très intéressante pour parler de l’Église : les chrétiens d’une assemblée sont les membres d’un corps dont Jésus est la tête. Ces membres si différents sont, qu’ils le veuillent ou non, interdépendants. Si bien que lorsque l’un souffre, tous souffrent avec lui : si vous vous mettez un coup de marteau sur un doigt, tout votre corps sera impacté et, à l’inverse, après un bon massage cervical, tout votre corps sera détendu. Une société, Église ou nation, ne peut pas tolérer le Mal sans se tirer une balle dans le pied. Car tel un cancer, il se propagera et fera mourir le corps entier. C’est pourquoi Jésus a eu ces propos radicaux : « Si ta main droite te fait tomber dans le péché, coupe-la et jette-la au loin. Il vaut mieux pour toi perdre un de tes membres que de voir tout ton corps jeté en enfer. » (Matthieu 5.30) 

Parfois la radicalité sauve la vie et l’inaction engendre la mort. Et si nous commencions à prendre soin de notre prochain ?

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