Le problème des chrétiens, c’est qu’ils sont enfermés dans la culpabilité

La foi chrétienne, source de culpabilité ?

Certaines personnes rejettent, d’un revers de main, l’ensemble de la foi chrétienne, et accusent la morale judéo-chrétienne de maintenir les gens sous une lourde chape de culpabilité. Au risque de vous étonner, je pense que cette accusation est en partie justifiée. Pour une part, Il y a eu, en effet, une dérive avérée de la religion chrétienne vers une forme de moralisme culpabilisateur. Mais cette accusation à l’encontre du christianisme historique est, d’autre part, démentie par les paroles de Jésus, le fondateur du christianisme dont voici l’objectif : communiquer aux humains sa vie abondante, et non les mortifier !

  • L’histoire du christianisme semble confirmer cette accusation…

Les gnostiques, Platon et néo-platoniciens en tête, voyaient dans la matière et dans le corps une prison qui enferme l’âme et l’empêche de s’élever vers un état supérieur. Dans le prolongement de ces philosophes grecs, il y a eu Mani. Ce mystique perse fondateur du manichéisme[1] a développé une vision du monde très dualiste ; polarisée entre Bien et Mal, Lumière et Ténèbres… On dit encore aujourd’hui, d’une personne qui a des idées un peu trop binaires et des jugements de valeur un peu trop arrêtés sur les faits et les personnes, qu’elle est manichéenne.

Le christianisme a été, pour une part, influencé et contaminé par l’esprit grec, qui dépréciait le corps et la jouissance. Et cela s’est ressenti dans les faits suivants : une survalorisation des idées au dépends d’une spiritualité concrète ; une faction du mouvement monastique privilégiant le retrait hors du monde au dépend de l’agir dans celui-ci ; une certaine pudibonderie bourgeoise dans la bonne société. Nietzsche a violemment protesté contre ce moralisme culpabilisant, affirmant à qui voulait l’entendre que les églises étaient les tombeaux de Dieu, et que Dieu était mort… parce que nous l’avions tué ! “Nos mains sont rouges du sang de Dieu”, a-t-il déclamé, dans son célèbre texte “L’insensé”[2]. Aussi, Nietzsche a affirmé : “ma philosophie, le platonisme inversé”. Mais il ne s’est pas rendu compte que ce qu’il combattait n’était en réalité qu’une corruption du christianisme.

  • … mais le portrait de Jésus contredit cette accusation.

Lorsque nous regardons à la personne de Jésus, et au portrait vivant que nous en dressent les quatre évangiles, nous le découvrons très humain ! Il est le Logos de Dieu marchant sur nos chemins, la Parole faite chair. Et nous le voyons : tantôt rempli de joie, tantôt pleurant devant les larmes de ses amis. Plein d’Amour pour les hommes et faisant du bien autour de lui. Rempli d’indignation et de sainte colère devant l’hypocrisie religieuse, et faisant l’éloge de la simplicité et de l’humilité des enfants. Prenant soin des parias, et plein de considérations pour tous ceux que la société de son époque voyait comme inférieurs – enfants, femmes, esclaves, étrangers, lépreux impurs. Mangeant avec les personnes que la bonne société des religieux condamnait – les prostituées et les collecteurs d’impôts malhonnêtes – et refusant de les juger. Jésus a dit : “Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent de moi : C’est un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Mais la sagesse a été justifiée par ses oeuvres” (Matthieu 11.19).

Jésus, un mangeur et un buveur ? Mais alors, vivre avec lui, ça ne devait pas être culpabilisant, mais plutôt libérateur ! Eh oui ! la Bible confirme : “Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres. Alors, résistez ! Ne vous laissez plus attacher avec les chaînes de l’esclavage !” (Galates 5.1).

Les chrétiens, des “rabat-joie” culpabilisateurs ?

On pense parfois que les chrétiens passent leur temps à se culpabiliser et à culpabiliser les autres. Mais la foi chrétienne n’est pas un catalogue d’interdictions et d’obligations mortifères que tout homme doit respecter, sans aucune indication sur leur finalité. Bien au contraire ! Toute morale, c’est-à-dire toute réflexion sur les valeurs ne s’oppose pas nécessairement au bonheur de l’homme. D’ailleurs, le bonheur véritable, est-ce la liberté de faire ce que l’on veut et de jouir de tout sans la moindre entrave ? Je ne le pense pas. En effet, un certain cadre est nécessaire pour atteindre le bonheur, et construire une existence pleine de sens [3].

  • Le chemin du bonheur chrétien passe par le rejet du mal.

Il y a, en chacun de nous, une sentinelle intérieure, que l’on appelle couramment notre conscience. C’est elle qui, en nous, s’indigne : devant le harcèlement, les abus, et les scandales de pédophilie, par exemple. Cela montre qu’en chacun de nous, il y a une moralité. Pour les chrétiens, cette révolte des humains contre l’injustice leur vient du fait qu’ils ont été créés à l’image d’un Dieu juste qui a l’injustice en horreur ! La foi chrétienne affirme que l’homme n’est pas bon par nature, mais enclin au mal, et qu’il a besoin de faire un demi-tour : se détourner du mal, pour se tourner vers Dieu.

Quelques questions maintenant : “Si tu es capable d’être scandalisé devant le spectacle de l’injustice ; seras-tu aussi capable de te révolter contre le mal que tu vois dans ta vie, quand tu blesses quelqu’un, par exemple” ? “Si le voyant de ta sentinelle intérieure s’allume, n’est-ce pas un signal utile, destiné à produire en toi un changement” ? 

  • Le chemin du bonheur chrétien passe par le rejet de la culpabilité.

Cette réalité est illustrée par une histoire, celle de Pierre. La voici :

Pierre : “Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant? Je donnerai ma vie pour toi”.

Jésus : “Tu donneras ta vie pour moi! En vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois”.

Et ce qui devait arriver arriva : Pierre renia Jésus. Son regard croisa celui de Jésus, et il pleura amèrement. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Puisque plus tard, Jésus lui demanda, trois fois :

Jésus : “Pierre, m’aimes-tu ?”

Pierre : “Oui, maître, tu sais que je t’aime”.

Jésus : “Alors, prends soin de mon troupeau”.

Juda, rempli de tristesse après sa trahison, alla se pendre ! En voilà une culpabilité morbide ! Mais telle n’est pas la voie du christianisme ! Au contraire, regardons à Pierre. Après son triple reniement, Jésus opère un triple rétablissement de sa dignité et lui ouvre un avenir nouveau.

  • Que penser de ma culpabilité, et qu’en faire ?

Oui, il existe une bonne culpabilité dont je dois tenir compte. Mais elle ne consiste pas à s’enfermer dans la haine de soi et des plaisirs du monde. Elle consiste à passer de la tristesse de la conscience à la joie d’un changement d’attitude.

Non, la culpabilité n’est pas un état dans lequel les chrétiens restent ad vitam aeternam. Elle n’est pas une prison dans laquelle tu dois rester enfermé. Au contraire ! Elle est un passage vers une transformation intérieure et une liberté toujours plus grande, par la puissance de Jésus : Une liberté à l’égard de la puissance du mal, pour faire le bien.

Voici le message central du christianisme : “Tu n’es pas capable, par tes propres forces, de surmonter la puissance du mal. Tu as besoin de Dieu ; alors laisse-le te transformer, et abandonne lui ta culpabilité.”

 

Aurélien Bloch, 2022

 

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Notes

[1] Manichéisme : religion syncrétique, aujourd’hui disparue, influencée par le bouddhisme et le christianisme.

[2] Nietzsche Friedrich, Le Gai Savoir, Livre troisième, aphorisme n°125

[3] http://www.foienquestions.eu/?p=147

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